Sortie : février 2011
Label : Columbia
Genre : Synthpop dépressive
Note : 7/10
La vie de Mohini Geisweiller se situe à mi-chemin entre les romans de Lolita Pille et Martine à la Secte. Jeune et beau mannequin, elle tombe un soir de beuverie dans les filets d'un certain Adrien, beau parleur un peu mytho, qui l'entraînera dans l'aventure Sex In Dallas. Sex In Dallas, c'est ce trio de clubbers parisiens qui a connu les grandes heures du Rex, et qui a migré vers l'Angleterre et l'Allemagne, pour inonder les clubs mythiques sous ce qui n'est rien de plus qu'une énième tentative d'électroclash. Parce que voilà, la hype s'était emparé du truc, et encore aujourd'hui, dire que Sex In Dallas a toujours fait de la merde est aussi risqué qu'émettre des réserves à propos du régime de Nicolae Ceausescu en Roumanie dans les années 80. Car je suis quand même un peu courageux, j'ose dire ce jour planqué derrière mon ordinateur, qu'on se souvient aujourd'hui plus de leurs frasques sous toxiques que de leurs Everybody Deserves To Be Fucked ou Berlin Rocks. Mais voilà, Mohini en a marre de se retrouver sans culotte au petit matin dans les rues de Berlin avec la mâchoire encore un peu tendue. Elle quitte le groupe et souhaite revenir à quelque chose de plus... posé. L'été dernier, Les Inrocks, Teknikart, Têtu et plein d'autres magazines culturels crédibles saluent le retour de Mohini avec son EP Milk Teeth. Gros retour de hype, Danakil réalise son clip et un album est annoncé pour l'hiver suivant. Nous y voilà.
Si Milk Teeth était sorti en été, la musique de Mohini s'apprécie d'autant plus en hiver. Et encore plus si on tente de se sevrer de l'héro, un week-end gris et neurasthénique dans un 12m² sous le ciel de Charleroi ou de Manchester. A Nevers ça marche aussi, mais pour trouver du subutex un dimanche après-midi, c'est un rien plus complexe. Mohini a elle bien compris qu'un vieux synthé Casio coûte moins cher qu'une psychothérapie. Surtout quand on le trimbale dans son sac depuis l'adolescence. Même si sa synthpop est nouée de névroses, elle contient des vestiges de son (mauvais ?) goût pour les nappes de Giorgio Moroder et l'italo disco en général. Si on ajoute à cela une absence totale de voix et un matériel que nul n'ose plus utiliser, on est en droit de se poser cette troublante question. Comment Event Horizon peu-il être un bon album ? Car il l'est, assurément. Tout d'abord parce que le songwriting de Mohini est tout à fait pertinent, encore plus quand elle susurre en français. Qu'il y a quelque chose de particulièrement touchant et contrasté dans ce que raconte cette beauté froide et fragile, arborant aujourd'hui un teint frais comme la rosée, aussi rassuré que rassurant. Et parce que sa pop synthétique et minimaliste ne sonne pourtant jamais cheap, si ce n'est sur l'incompréhensiblement et unanimement salué Paris 2013. Et parce que voilà, artistiquement il y a quelque chose. On pourrait penser que la presse et le tout Paris aimerait finalement qu'elle aille encore plus mal, que ses pas si vieux démons la rattrapent (No Recollection Of This Happening et Tête d'Or) et qu'on la surprenne partageant les même rails que Nicolas Rey dans les chiottes du Flore après sa potentielle remise du Prix Constantin. La hype a déjà failli bousiller cette jeune beauté. Bien sûr les titres que contenait le EP Milk Teeth ont quelque chose de plus "tubesques" et de plus immédiats que les nouveaux arrivants. Ce sont pourtant les plus personnels. Les qualités de cet album sont en fait aussi ses défauts. Mais on reviendra souvent vers ses fables électro-pop qui n'excèdent presque jamais les 3min30, aussi désenchantées que ce que représente celle qui les chantent, définitivement et malheureusement bien installées dans leur époque. Si Toward, Systole/Diastol, Random, Plus Rien, April et Tempe ont nettement ma préférence, chacun fera ici son marché pour accompagner au mieux sa descente.
On peut légitimement se demander si Les Inrocks et consorts auraient encensé autant cet album si il n'avait pas été devancé par tous les détails sordides des errements de l'ex poupée chiffon de Sex In Dallas. Mohini n'a plus peur, même si elle ne connaît personne et qu'il fait terriblement froid lorsqu'elle regagne son trou paumé du 77. Un seul regret ou risque plutôt, que ce triste et joli album ne sorte jamais du microcosme parisien dans lequel bien des gens aimeraient l'installer. Mais Mohini n'est sûrement pas une victime et connaît déjà trop bien les sectes. Elle ne devrait plus avaler les mantras et les pleurs cérémoniels infusés des gourous toujours sans cravates, mais aujourd'hui chaussés de Sneakers.
par Ed Loxapac