Sortie : Aout (vinyle) / Octobre (CD)
Label : Perlon
Genre : Micro-house, minimal-house
Note : 8,5/10
Dissipons immédiatement tout malentendu. Ce n’est pas parce que Ricardo Villalobos est un DJ écumant tous les clubs de la planète, en particulier ceux d’Ibiza, qu’il est foncièrement un « vendu ». Parce que je les vois déjà venir les aigris : « Non mais sérieusement, Villalobos c’est de la merde ». Bande d’ignorants ! Il est pourtant un fait objectif difficilement réfutable : le Chilien est un des plus grands créateur house en activité. Il faut seulement apprendre à dissocier le personnage médiatique, excellent DJ mais péchant par trop de visibilité (attention, on est tout de même loin de Richie Hawtin qui a fait sa pute tout l’été), du producteur studio, capable de sortir un Alcachofa d’une exigence folle en 2003 avant d’enchaîner avec Fizheuer Zieheuer en 2006, masterpiece de 37 minutes se jouant de tous les codes house en redéfinissant les notions d’espace et de temps (écoute ici). Ricardo Villalobos est un érudit, un mec qui pense et travaille à la loupe le moindre son. Chez lui, la house n’est qu’un trompe l’œil lui permettant d’amener l’auditeur vers des sphères hautement plus élitistes. Ainsi, l’an dernier, il s’était octroyé le droit, avec son pote Max Loderbauer, de revisiter une partie du catalogue d’ECM pour un Re: ECM expérimental, aux confins du jazz (chronique ici).
Il était important de replacer le personnage dans un contexte éclaté car le triple album vinyle (il s’agit d’une simple galette, amputé de quelques morceaux, pour l’édition CD) qui sort aujourd’hui chez Perlon est d’une exigence folle. On n’écoute pas du Villalobos avant d’aller en club, on n’écoute pas du Villalobos en club, on écoute du Villalobos seul chez soi, posé sur son canapé, avec la plus grande attention.
Dependent and Happy est le meilleur album house de Ricardo depuis Alcachofa, c’est dire ! Le chilien a décidé de revenir à la house, dans l’idée de démonter celle-ci pour mieux la reconstruire. Il ne reste désormais qu’une seule balise à laquelle se rattacher : la rythmique 4x4. A partir de cette ossature rachitique, Ricardo se permet toutes les expérimentations possibles, tout en s’efforçant de rester cohérent. La construction de chaque track répond à un souci d’exigence hors-norme. L’élitisme est l’unique limite de l’album. En poussant aussi loin les recherches sur la house, Dependent and Happy tombe parfois dans l’exercice de style pédant. Mais c’est aussi ce parti-pris qui amène l’album vers des territoires vierges.
Pour enregistrer un tel projet, il est évident que Ricardo Villalobos a bénéficié du meilleur matériel disponible. Il en ressort un travail exceptionnel sur le son. En dépouillant au maximum ses morceaux, en tombant dans un minimalisme radical supprimant toute mélodie, Ricardo peut se concentrer uniquement sur les textures et la densité. La house devient micro-house et la moindre sonorité organique. Les sons n’en sont plus, se limitant parfois à de simples apparitions fugaces, n’ayant ni début, ni fin. Comme pour mieux illustrer cette recherche sonore, nombres de morceaux semblent obéir à un work in progress savamment orchestré. On entend parler sur Tu Actitud, la musique étant en arrière-plan avant de lentement prendre l’ascendant pour aboutir un collage d’éléments hétérogènes. Idem avec I’m Counting dont l’enveloppe house métallique s’accompagne de tablâs indiens comme éléments extérieurs non calibrés.
Dependent and Happy est une expérience sensorielle réclamant une étroite participation de l’auditeur. Il faut lentement disséquer les morceaux pour se rendre compte que tout se superpose avec sens, que tout se déconstruit avec préméditation et que le moindre son extérieur sporadique n’est pas là par hasard. Au bout du compte, Villalobos arrive à remettre en cause nos certitudes. Les 14 minutes deZuipox interrogent l’insubmersibilité de la rythmique 4x4, en ajoutant et supprimant continuellement des éléments incongrus. Tout n’est qu’un leurre. Ricardo s’amusant avec notre cerveau, parasitant la moindre connexion, dérivant à sa guise les schémas synaptiques. Inadaptable en club, sauf le temps d’un Kehaus métallique, Dependent and Happy n’en demeure pas moins hypnotique notamment via un Sammia exceptionnel de lancinance, d’inventivité, de nonchalance et d’intelligence. Réussir à maintenir un tel niveau d’exigence pendant 2h30 est remarquable.
Il ne faut pas parler de chef d’œuvre à l’écoute de ce triple album de Villalobos, le terme étant inapproprié. Dependent and Happy relève davantage de la démonstration. Il est clair que beaucoup crieront à l’imposture par tant de vacuité. Après tout, le reproche mérite d’être formulé. Je me range du côté de ceux qui pensent que Ricardo Villalobos est un génie de la musique électronique et qu’il vient de sortir un monstre dont on sondera les moindres recoins pendant des années.
par B2B