Sortie : août 2012
Label : Rural Colours
Genre : Ambient, Drone, Field Recordings
Note : 8,5/10
Wil Bolton n'a jamais été aussi inspiré que depuis qu'il a laissé de côté les rivages de l'electronica glitchy. Certains se souviennent de son projet Cheju et des releases publiées en compagnie de Mint (Murray Fisher) sur leur label Boltfish. Le superbe Time Lapse, sorti sur Hibernate il y a maintenant deux ans, avait donné le ton à ses nouvelles trajectoires drone/ambient. L'originaire de Liverpool trouve l'inspiration au gré des rencontres et des voyages. Des labels sérieux et exigents comme Time Released Sound, Rural Colours (filiale de Hibernate) ou Home Normal (à la fin de l'année) lui ont accordé confiance et balise. Sa vision nostalgique et pleine d'affection du déclin de l'industrie britannique dans les West Midlands avait fait son oeuvre sur le superbe Quarry Bank (ici). Tout comme le fruit de ses errances au milieu de lieux aussi enchanteurs que dévastés, sur Under A Name That Hides Her (ici). Le monde semble trop vaste pour qu'il ne s'attarde uniquement sur les territoires vallonnés et contrastés du Royaume-Uni. Voilà pourquoi il multiplie les rencontres dans des résidences d'artistes à l'étranger. Kollane (paru également cette année sur Time Released Sound) avait d'ailleurs vu le jour dans ce cadre, plus précisément en Estonie. Si le Amber Studies dont il est aujourd'hui question est allé prendre le pouls des ruelles et des parcs de Cracovie en Pologne, nos solides informations révèlent que le britannique revient tout juste de Corée du Sud, avec probablement ce qu'il faut sous le bras pour nous pondre encore un grand album.
C'est avant tout parce que chaque voyage est différent que la musique de Wil Bolton ne saurait se reposer sur elle-même. Pourtant, on peut ici encore noter l'impressionnante habileté qu'à sa musique à se fondre littéralement dans la zone qui l'inspire. Cette troublante impression qu'il a su se rendre invisible pour mieux absorber l'essence même de la rue, avec cet inaltérable souci du détail. Faisant de chaque tableau une véritable scène vivante, fourmillante de variations et de mouvements. J'ai une profonde admiration pour les artistes qui savent ne pas verser dans la sempiternelle austérité du drone. Wil Bolton, a cette trop rare faculté de s'émouvoir d'un rien, de souligner un soudain aboiement de chien, l'effervescence relative d'une terrasse, les fragments de divagation d'un autochtone bourré, un vélo sans pilote, ou un klaxon un peu trop pressant. Pour rappeler à l'auditeur que chaque coin de rue contient son lot de grâce résiduelle, de nature pas tout à fait morte. Assujetti des concepts de soudscaping propres à l'ambient, il transporte néanmoins l'auditeur vers une galerie étrangère de vignettes instantanées, avec tendresse et émotion.
Les sources des drones oscillent, entre guitares et claviers vintage, mais sont empreints de ce même trait gras, de cette profondeur chaleureuse propice à la contemplation erratique. On ne saurait dire, si c'est eux qui se noient dans le canevas de captures urbaines ou le contraire. Peu importe après tout, car face au charme humble mais enchanteur de la musique de Wil Bolton, on se surprend à ne plus réfléchir. A se laisser aller vers là où il souhaite nous emmener, sans jamais intellectualiser, ou tenter de décrypter telle ou telle nuance dans l'enregistrement ou l'aspect technique. D'être enfin, cet anonyme que personne ne sent ni voit venir, quand il semble plongé dans un mauvais roman de gare et qu'il scrute et écoute en réalité, le moindre centimètre d'authenticité d'une conversation commune ou du spectacle pas si pathétique d'un chat errant, qui se fait les dents sur un biberon presque vide.
L'usage de la réverbération trouvera ici toute sa plénitude, à l'abri des clichés du genre. Chaque écho, chaque variation de volume ou de fréquence, révélant à chaque fois dans leurs interstices, leurs lots de surprises et de simples trésors. Si les trois premiers titres savaient transmettre autant avec si peu, les sublimes 23 minutes de Plac Szczepanski ouvrent les voies de la cohabitation des guitares et des claviers. De cette richesse sonore enveloppante jaillit la quintessence du genre. Ébloui comme un enfant scrutant l'environnement sur le rebord de son lit, l'abandon n'est pas loin. Qu'il est bon de céder à ces visions friables et nébuleuses dans pareil écrin...
Wil Bolton signe ici probablement sa réalisation la plus aboutie, la plus chaleureuse dans ses témoignages pas si abstraits. Après le chef d'oeuvre All The Other Hearts I Knew d'Hakobune (chroniqué bientôt sur notre futur nouveau site), Rural Colours publie ici une énième indispensable réussite. Une pré-écoute sur le bandcamp (ici) pour tenter de convaincre les derniers sceptiques vaut peut être encore mieux, qu'une nouvelle recommandation perdue dans le camaïeu.
par Ed Loxapac