Sortie : 30 mars 2011
Label : Hyperdub
Genre : 2-step, Ambient
Note : 8/10
Burial est un mythe. Celui d’un jeune paumé du sud de Londres qui retourna la musique, puis qui envoya le monde se faire voir. Les deux albums que réalisa William Bevan ne sont autres que des chefs-d’œuvre absolus, retranscrivant la pulsation primale d’une ville désenchantée, tirant du smog londonien sa plus brute poésie. Burial en 2006 et Untrue en 2007 connurent des échos foudroyants. La critique succombe et les errances solitaires de Bevan conquièrent des foules dont il n’aurait certainement jamais imaginé la dimension. Mais voilà qu’il décide de ne jamais apparaître, de ne jamais se produire en live et de n’exister qu’au travers de ses sombres bijoux musicaux. Nul doute que son image de producteur immatériel façonna en grande partie sa légende. Ses sons à la convergence du 2-step, du garage et de l’ambient en firent à la fois le héraut du dubstep et son seul véritable génie. L’influence qu’il continue d’exercer semble incommensurable. On peut citer Clubroot, Desolate ou Eleven Tigers à titre d’exemples, mais ses légataires, et la flopée de producteurs se réclamant de l’ambient dubstep, ne se comptent même plus. Quatre ans se sont écoulés depuis Untrue. L’effet de l’annonce d’une prochaine sortie, même d’un EP de trois titres, ne peut qu’avoir l’effet d’une bombe. Sa toute récente collaboration avec Four Tet et Thom Yorke sentait tellement le réchauffé. La réunion de ses trois-là était si facile, si évidente, que l’on ne s’étonne même pas que le résultat s’apparente à une plate superposition de leurs trois univers. A l’heure où le dubstep s’embourbe, patauge et dégoute, percevoir un signe, même avare, de celui qui n’a jamais quitté sa tour de béton sinon d’ivoire a des airs de grâce divine.
Burial n’est pas un musicien. Les studios d’enregistrement le font flipper et il ne compose qu’au moyen d’un unique software, SoundForge. Pour moi, le type fait davantage figure d’outsider magnifique que de comploteur d’un mystère artificiel. Mais parlons enfin de la musique. Il est euphorisant de constater que Bevan ne s’est pas fourvoyé en cours de route. L’homme poursuit son usage de quelques ingrédients bien précis, presque simples, mais que lui seul sait transcender avec une alchimie renversante. Des samples de voix souvent féminines, des syncopes de drums trébuchantes et un brouillard crépitant, qu’il alimente d’enregistrements du bruit de la pluie, du feu ou simplement de l’air de la rue. Street Halo, qui ouvre l’EP, lâche pourtant une rythmique étonnamment rapide au vu de la persistance downtempo de ses courantes réalisations. Le beat découle d’un roulement cadencé et auréolé de claquements. Autour baigne une semi-clarté, diffusée par une mélodie brouillée, qui ne serait pas exempte d’un certain lyrisme. Un brin d’une voix de demoiselle s’échappe sporadiquement, les circonvolutions du rythme se font de plus en plus entêtantes, le voile d’interférences se densifie, et l’intensité moite finit par étourdir. On retrouve avec extase, sur NYC, les éclairs d’infinie tristesse que l’Anglais sait pertinemment utiliser pour vous faire des trous dedans. Alors que le beat reproduit avec constance son habituel mini-saut-périlleux, les nappes mélodiques prennent des teintes bouleversantes. Mais la réelle éraflure est prodiguée par ce chant, voilé mais si proche, dont l’élocution semble celle d’une enfant trop vite désillusionnée. "This is love" répètent ses inflexions au bord de l’ironie. Si ces deux premiers titres sont des perles, le troisième ne soutient pas la qualification. Stolen Dog est du pur Burial. Celui qui vous renverse par ses bourrasques sublimes et meurtries et qui vous suggère des interrogations aussi absurdes et éclatantes que "pourquoi tout cela existe-il ?"
"If my tunes sounded like Herbalizer or some shit, I’d shoot myself. I’d throw myself under a train at Clapham Juction”, disait Burial il y a cinq ans, dans une de ses très rares interview. Il risque donc de survivre encore un moment. La frustration est trop grande face à trois titres, aussi magnifiques soient-ils. Mais fi de l’attente, cette musique-là vaut tous les sursis.
par Manolito