Sortie : 4 avril 2011
Label : Warp
Genre : Folk-electronica
Note : 4,5/10
On imagine aisément Bibio nageant dans le bonheur depuis 2009 et la sortie unanimement encensé d’Ambivalence Avenue (chroniqué ici). Depuis deux ans, Stephen Wilkinson parcourt le monde pour récolter ce qu’il a semé. Après tout, ce n’est que justice tant le succès était mérité et aura permis d’oublier un début de carrière relativement anecdotique chez Mush. En signant chez Warp, il y avait cette promesse d’un avenir plus radieux. Pourtant, Ambivalence Avenue n’était pas un disque joyeux. Tout l’art de l’Anglais fut de jouer sur cette fine ambivalence émotionnelle afin de construire des comptines folktronica aux sonorités bancales et des cathédrales volontairement plus chancelantes. Quelqu’un aurait alors dû prévenir Bibio que l’excès de bonheur rend niais.
Mind Bokeh, nouvel album à sortir chez Warp, est loin des espérances que nous avions placées en Bibio. Pourtant, tout s’annonce sous les meilleurs auspices avec une ouverture permettant de retrouver cette ambiguïté dans les sonorités. Excuses s’immisce avec finesse dans notre esprit en misant sur une ascension aquatique avant de subir un ludique malaxage breakbeat. Mais ce sera là l’unique moment de grâce de l’album avec, More Excuses, sa réponse toute aussi vicieuse.
Le sympathique Bibio a rencontré le bonheur et s’est fourvoyé dedans de la plus naïve des manières. En soit, l’allégresse n’est pas une tare, si tant est que l’on sait s’en affranchir au moment de la création musicale pour ne pas être esclave d’un regard biaisé car univoque. Le souci revient à observer son travail par l’unique prisme d’un état contemplatif, supprimant le tâtonnement pourtant indispensable à la création. Malheureusement, l’Anglais s’est empêtré dans une optique autant candide que rédhibitoire. Ce n’est pas un hasard si le philosophe Emil Cioran, dans Syllogismes de l’amertume, prétend que "La musique est le refuge des âmes ulcérées par le bonheur". Bibio aurait bien fait de s’inspirer judicieusement de cette sentence.
Que Mind Bokeh ne soit pas une redite d’Ambivalence Avenue n’est en rien le souci. Après tout, c’est quand un artiste arrive à se renouveler qu’on en vient à le mettre sur un piédestal. Mais le renouvellement de Bibio obéit à un retour en arrière par une simplification de sa musique. L’orientation ouvertement pop de l’album voit opérer un 180° mal négocié. L’utilisation du matos vintage s’efface derrière une mise en avant indélicate de la voix. Le vocoder prend alors la direction tant redoutée : le mièvre. L’écoute d’Anything New ou K is for Kelson donne envie de trucider la famille Ingalls dans son intégralité.
Alors qu’on saluait l’hétérogénéité des productions passées de Bibio, Mind Bokeh fait figure d’auberge espagnole bordélique. La triste tentative d’ouverture pop-rock à la Phoenix de Take Off Your Shirt fait grincer des dents pendant que le final à la Four Tet, période There Is Love In You, de Saint Christopher se révèle bien trop léger pour dépasser le stade de la discrétion. La encore, il n’est aucunement question de remettre en cause la volonté d’éclatement des formes mais plutôt la manière de faire. A trop vouloir démontrer l’étendue de son talent, Bibio étale ses propres limites sur une trop grande partie de l’album.
Sans être un ratage complet, Mind Bokeh se révèle être une cruelle déception. Le mariage entre folk et électronica est désormais consommé, s’en est fini des montagnes russes émotionnelles. En occultant l’aspect naturaliste qui était la moelle épinière de ses travaux passées, Bibio en aura perdu une âme et de la sincérité, nous laissant observer à travers une lucarne sa béatitude actuelle.
par B2B