Sortie : 10 Septembre 2012
Label : Ostgut Ton
Genre : Techno
Note : 8/10
C’est quand même de la triche de sortir un album sur Ostgut Ton. De la triche parce que le sound-design y est en permanence impressionnant et que la possibilité d’exploiter l’artillerie lourde du Berghain pour observer les répercutions directs sur les danseurs supprime les règles du jeu. Pire, la tendance à la redéfinition du son techno par le prisme des sorties estampillées Ostgut Ton sépare aujourd’hui le monde de la techno en deux catégories : ceux qui bénéficient d’une puissance sonore hors-norme et les autres, la plèbe. Tout cela pour finalement se demander : si Barker & Baumecker n’avaient été pas dans l’écurie berlinoise, Transsektoral aurait-il été aussi implacable et captivant ? La question mérite d’être posée mais ne doit surtout pas empêcher d’apprécier l’album comme il se doit.
Barker & Baumecker ont beau être des fidèles de l’antre berlinoise (autant au Berghain qu’au Panorama Bar), il faut bien avouer que la carrière passée des deux gaziers nous est totalement inconnue en France. D’ailleurs, inutile de revenir dessus car cela a peu d’intérêt. Ce qui compte c’est que les deux bonhommes ont eu le temps de digérer l’espace proposé, d’en humer les moindres recoins. C’est con à dire mais cela a une influence prépondérante dans leurs travaux (et cela vaut pour tous les résidents du Berghain sortant un album).
Transsektoral est le premier exercice long-format du duo et il permet de retrouver Ostgut Ton après une année 2011 assez convenue et un début 2012 plutôt anecdotique. On retrouve ce parti pris radical, ce besoin de pousser l’auditeur vers des sphères inconnues. Le public néophyte en matière de musique électronique et qui pourtant veut absolument se rendre au Berghain, en ressort souvent dubitatif car le son proposé n’est pas qu’un assemblage de tracks techno bien droites, au contraire, le lieu sait laisser parler la musique expérimentale, les blancs et les appels d’airs. Et Barker & Baumecker savent combien un morceau minimaliste peut être bien plus étoffé qu’une explosion de testostérone. Mais s’arrêter là serait encore trop facile tant la puissance d’Ostgut Ton ne suffit plus à étonner le quidam. C’est ainsi que les machines analogiques ont décidé de prendre les commandes en y ajoutant de redoutables aspérités.
Transsektoral n’est pourtant pas un album de techno radical, il s’agirait plutôt d’un lent poison. L’album se scinde en deux parties distinctes. Les premières plages mettent en place une techno pour public exigeant car difficilement transposable sur une piste de danse. Shlang Bang est trébuchant, Crows claustrophobique tant les basses sont étouffées et les sonorités monochromatiques rachitiques. Cette première partie installe l’auditeur dans une noirceur de velours, où le beat se mélange à des nappes ambients crépusculaires, osant parfois s’aventurer vers un dubstep abyssal. Trans-it opère un changement significatif. A partir de là, l’album plonge dans une techno racée et hautement marquée par Detroit. Le métissage entre l’analogique 90’s de le Motor City et l’organique 10’s de Berlin aboutit à des morceaux puissants mais marqués d’une profonde humilité. Il n’en demeure pas moins que Buttcracker fait figure de machine de guerre radicale et froide. Le moindre beat vous claque dans les oreilles, vous obligeant à vous tenir aux murs, avant un finish démentiel, à rendre Mad Mike fou de jalousie.
Barker & Baumecker se paient le luxe de finir sur un morceau à la Border Community (où comment donner une leçon à Nathan Fake) via un Spur saisissant. Ces 10 minutes d’osmose, de tremblements et d’ascension émotionnelle démontrent que Berlin est aussi capable de faire parler les cœurs. En achevant ainsi leur album, le duo nous laisse hagard. On se frotte les yeux, cherchant la lumière qui a définitivement disparu.
Barker & Baumecker signe le grand retour d’Ostgut Ton. Transsekotoral permet de conjuguer la puissance du sound-design berlinois avec les aspérités de l’analogique. Voilà un LP qui risque de faire mal, très mal en live.
par B2B