Sortie : Février 2012
Label : MrHappyFace
Genre : Broken Beat, Noise, Glitch, Hip-Hop/Soul expérimental
Note : 8,5/10
A l'heure où tout le monde cherche à inventer le Hip-Hop du futur, certains labels de Breakbeat semblent demeurer en dehors du temps, comme MrHappyFace Records. Il se charge de produire sans prétention des albums modestes alternant basique et expérimental. Leur catalogue est en quasi-totalité gratuit et il est fortement conseillé d'y fouiner sans vergogne. Son fondateur est un génie du bricolage musical aux multiples alias. Il est nommé communément Bye-Product mais il est question ici de Cordless Soul Machine, un projet plus expérimental à base de samples hachés et défigurés. Très productif, l'américain tourne environ à un release par mois, mais il est dommage de voir bien trop souvent ses projets brouillons et hétérogènes.
Plongeons, le temps d'une brève hypnose. Le calme et l'excitation coopèrent dans un cri orgasmique qui résonne sur quatre actes approchant chacun la dizaine de minutes. Le temps est insolent. Il multiplie un même son, détruit ses mesures. L'enfant Hip-Hop aux deux jambes cassées est arrogant, et vit sa pleine crise d'adolescence. Le disque est cet élève de fond de classe, rempli de haine, implorant l'amour, ou bien l'inverse, de tout de façon on n'a jamais réussi à le cerner. Les structures paraissent libres et improvisées, rêvassant dans des mélodies de draps blancs, s'approchant des sensations de jouissance laissées par l'album de jazz Black Woman (1969) de Sonny Sharrock. Les mouvements se décomposent dans un montage saturé, mécanisé comme un automate dans une logique technologique. L'ambiance est pesante et lourde. Elle rouille toute articulation voulant échapper à cette atmosphère. Elle colle le visage à la vitre ou enfonce les fesses dans le canapé. Les secondes sont toutes breakées. L'unité de temps est variable. Les beats sont obèses et n'arrivent même plus à se déplacer. La musique de Cordless Soul Machine est insociable avec le reste de ses confrères. Elle s'élève dans les chambres des démunis scolaires, et soigne leurs âmes brisées par l'absurdité de la vie. Bye-Product est un médecin imaginaire et cynique, qui serait prêt à nous faire croire que la solitude est belle et plaisante. Le temps se scelle dans nos esprits, nous vivons mentalement dans l'utopie des souvenirs que l'on nomme enfance.
Cette pièce en quatre actes, entre en matière avec How Could You, d'une soul agitée et décalée, servie en guise de préliminaires longs et tendres. L'entracte Fool est plus frivole et court, tel un slow raté sur du Stevie Wonder. Gazz est la révélation, le climax adressant une merveilleuse claque sur le visage. Le morceau vous pénètre amoureusement, révélant à vos yeux chaque particule de l'espace. Le requiem de fin We Try s'écoute sous la pluie, après avoir succombé au désir et s'être enroulé dans le cocon tissé par l'assemblage musical. Aucune rythmique n'est présente sur ce dernier quart de l'oeuvre, qui révèle une fin contrastée laissant place à des interprétations sombres ou au contraire lumineuses. Il est difficile d'écouter autre chose après une telle expérience, qu'elle soit positive ou négative. La plupart des auditeurs prendra sûrement du recul et délaissera ce bijou au profit de genres plus immédiats, mais il est sûr qu'une partie plus restreinte suivra les prochaines sorties de Bye-Product l'eau à la bouche. C'est comme une première fois, l'orifice saigne et se crispe, mais le plus douloureux est passé. Avec une meilleure connaissance de votre partenaire, l'appréciation sera croissante.
Il y a quelque chose d'attirant, de racoleur dans l'expérimentation de We're not Alright. C'est un antibiotique mais il n'est comme à l'accoutumé pas automatique. Qu'importe finalement, nous mourrons comme tous les autres. Dopons-nous pour soigner nos malheurs. Il ne manquerait plus que nous refassions le monde, alors qu'à l'aise nous sommes dans ce cocon de voix fragmentées et d'instruments écorchés vifs. Agence de voyage gratuite, il suffit de télécharger la destination ici.
par Pneu Rouillé