Sortie : octobre 2011
Label : Polydor
Genre : Comptines indie-pop et electronica
Note : 6,5/10
Si Björk provoque une unanimité béate parmi nos plus illustres confrères, sa réception par les amateurs de musique a toujours été beaucoup plus mitigée. Il y aurait deux camps opposés : d’une part ceux qui louent le chant prodigieux de l’islandaise, l’audace de certains de ses concepts, la forte personnalité du personnage de scène ; et ceux qui d’autre part ne voient en Björk qu’une braillarde pouilleuse qui débite autant de conneries sur la nature qu’une new age mal dégrossie, maladivement horripilés par sa voix. (Certes, il y a bien un troisième camp, les fétichistes des pieds, qui trouvent, eux, vachement cool que Björk compose pied nu en marchant dans l’herbe.) Et si une chose est certaine, c’est que ce Biophilia tellement attendu et annoncé ne va pas arranger cette fracture des cœurs.
On en a tant tartiné sur ce disque, ses instruments hybrides (les fameux Tesla coil et gameleste…), ses multiples collaborateurs (Matthew Herbert, Zeena Parkins, Michel Gondry…), ses quatre singles de lancement savamment distillés, ses interviews sans nombre (jusque dans L’Express [sic !]), ses applis Iphone/Ipad, son dépassement de la frontière nature/technologie, son implantation résolument high-tech et multimédia, ainsi que son improbable touffe rousse… que la température de l’attente se montrait extraordinairement fiévreuse. Loin de la conceptualité démente de Medùlla, de la démesure d’Homogenic ou de l’enchaînement pop des singles de Volta, la démarche de Biophilia se rapprocherait plutôt de la finesse electronica du Vespertine.
L’écoute des deux premiers morceaux, Moon et Thunderbolt, encourage cette analyse. On y découvre de belles comptines electronica, intimistes et finement ciselées, à la richesse instrumentale indéniable. La production est en elle-même magnifique, grâce à son traitement formidable des basses, qui sont d’une profondeur rare, mais également grâce à la spatialisation des instrus et à l’énorme travail d’arrangement du chant de Björk. C’est d’ailleurs son timbre vocal qui surprend en premier. On sait que la dame s’est faite opérer des cordes vocales, ce qui l’a obligé à retravailler son style naturel. Son chant s’est posé, transformé, apaisé, pour un résultat à la fois sobre et audacieux : tout se passe comme si Björk ne cessait de lutter contre la démesure de son propre chant et de son invraisemblable amplitude (lutte particulièrement sensible avec Moon, l’ambient-drone de Dark Matter ou la tristesse mélancolique et spectrale de Cosmogony).
Malheureusement, ce Biophilia n’est pas exempt de tout reproche. Si son electronica peut apparaître plus ferme et énergique, comme sur Virus et son espèce de xylophone extraterrestre, ou sur Hollow et sa montée en pression tout en rupture, il reste une énigme intangible : mais que foutent ici ces passages breakcore qui secouent nos comptines comme des cocotiers ? D’une part, leur réalisation est loin d’atteindre le génie culbutant d’un Venetian Snares ou Otto von Schirach ; mais d’autre part, la nécessité et la pertinence de leur incrustation au sein ces comptines sont particulièrement douteuses. Le finish de Cristalline, par ailleurs le plus désagréablement poppy et convenu de ces dix morceaux, tombe comme une pleine touffe de cheveux roux sur la soupe. Et même si ces moments breakcore sont un poil mieux intégrés sur Sacrifice ou sur l’orageux Mutual Core, on reste un peu perplexe quant à la légitimité de telles embardées rythmiques, qui provoquent des scansions malheureuses et inutiles à l’intérieur de morceaux initialement cohérents.
Avec tout le battage médiatique qui l’a précédé, on était en droit d’espérer bien plus de ce Biophilia, qui tient un équilibre précaire entre intimité sensible et fautes de goût. Malgré un esthétisme périphérique assez poussé (visuel agréable, clips intéressants, investissement multimédia total : la tournée live sera sans aucun doute visuellement démente), il n’est assurément pas son meilleur disque, et ne se trouvera jamais en mesure de conquérir des oreilles jusque là réfractaires au travail de Björk, qui, quatre ans après un Volta déjà décevant, donne une fois encore un nouveau coup d’épée dans l’eau de son propre génie.
par Pingouin Anonyme