Sortie : 30 avril 2012
Label : Ninja Tune
Genre : Hip-Hop
Note : 8/10
En bon fils de sculpteur renommé et en bon résidant de Manhattan, on peut dire que le jeune Anthony Simon a eu accès à une certaine culture. Si beaucoup le connaissent pour son chef d'oeuvre Music By Cavelight de 2003, certains ignorent qu'il fut le beatmaker attitré de Aesop Rock et de bon nombres de MCs gravitant autour du légendaire label Definitive Jux. Il fait partie de cette génération de whiteys américains à s'être pris le hip-hop en pleine gueule à la fin des années 80 (pour les plus vieux). Citons l'éternel redneck et pape sanctifié après Entroducing Dj Shadow, l'aujourd'hui en errance RJD2 ou le new yorkais Dj Signify (et son injustement méconnu Of Cities), parmi ses collègues à la base du galvaudé terme abstract hip-hop. C'est probablement celui qui aujourd'hui s'en tire le mieux parmi ses congénères pré-cités, même si rien n'est moins facile que de continuer à captiver après un album comme Music By Cavelight. Tout en conservant son éternelle démarche old-school, Blockhead a su s'émanciper du pur beatmaking et de son bijou initial, pour maintenir l'intérêt de ses fans de la première heure. Sa musique est aujourd'hui à envisager comme en lien avec son environnement direct, des tranches de son quotidien ou d'instants volés au coin d'une rue. Certains disent même qu'il utilise Ableton depuis son dernier The Music Scene. En fait peu importe l'outil avec Blockhead, car seul le résultat de ses fables - abstraites et habitées par un imaginaire débordant - compte. Interludes After Midnight sort la veille de la fête du vrai travail en France sur Ninja Tune.
Si la musique de Blockhead n'a pas connu de réelle révolution depuis 2005, on peut tout de même reconnaître que le beat est devenu secondaire par rapport à l'habillage et à l'aspect narratif. La rythmique hip-hop et ses drums si reconnaissables sont bien sûr encore là, comme un fil conducteur plus que jamais ouvert sur tellement d'autres choses. Ces fables urbaines et cosmopolites semblent infusées dans le LSD tant la dimension psychédélique est aujourd'hui poussée à un niveau de qualité impressionnant.
Blockhead a cette capacité à faire groover et donc rendre funky n'importe quelle de ses productions. Il pourrait sampler de la musique celtique que ce serait pareil. Pourtant, Interludes After Midnight peine un peu à se lancer et je dois avouer que même si le sampling est toujours aussi juste et subtil, je préférais le travail autour des parties vocales de The Music Scene. Franchement l'apport du timbre anémique de Baby Dayliner est questionnant, et contribue à donner à ce titre des odeurs de hippie mal lavé. Mais passons, car il n'y a que très peu de chose à jeter dans ce nouvel opus.
Le très bon Never Forget Your Token bénéficie de cette même éfficacité pragmatique, avec cette voix sorti d'on ne sait quel film blaxploitation qui invite à "take the subway to the end of your mind", dresse les plans du meilleur à venir. Puis pendant trois titres, on retrouve un peu le côté attentiste et trop fouillis de Downtown Science. Fort heureusement, l'enchaînement de Meet You At Tower Records à Smoke Signals sera des plus savoureux, réalisant une synthèse parfaite d'une certaine contre culture américaine, qui puise ses alternatives aussi bien dans la soul funk ou le jazz, dans la musique afro-indou-caribéenne ou dans le rock à moustache. On trouvera même ça et là, des effluves de synthés 80's qui réalisent la performance de ne pas sonner trop kitsch. Et que dire quand cette putain de trompette de mariachi sort de nulle part sur le déjà excellent Midnight Blue, comme un clin d'oeil plus que bienvenu à l'exceptionnel Carnivore's Unite. Ou comme quand une guitare garage et lo-fi veint ajouter une strate de vrilles au déjà bien perché Snapping Point. The Robin Byrd Era viendra clore avec brio et savante maîtrise ce maelström plus que réussi.
Si bon nombre d'observateurs s'accordent à dire que le hip-hop s'égare sévèrement depuis qu'il s'est rangé du côté des hyper-productions et du "tout électronique", on s'étonne presque de voir toute la blogosphère se gargariser des nouveaux excès vulgaires et consumés du genre. Blockhead n'a pas la vocation de représenter quoi que ce soit, mais son hip-hop nous raconte des histoires inexplicables, et c'est tout ce qu'on lui demande. Un disque qui fait du bien, à Ninja Tune et son patinage pas très artistique, mais surtout à ceux qui n'attendaient plus rien de Blockhead. Très, mais alors très bonne surprise.
par Ed Loxapac