Date : 19/04/12
Lieu : Café de la Danse, Paris
Un jour prochain viendra où Matt Elliott sera tête d'affiche. Car une heure est bien trop courte pour un tel concert et que seul le silence peut décemment succéder à sa musique, nous ferons comme tel. Puisque même s'il partage l'affiche avec Mariee Sioux, c'est pour lui seul que l'on est venu. Il avait joué l'année dernière déjà au Café de la Danse, précédant Dark Dark Dark. Et ce pendant 40 petites minutes. Si lui la considère comme une de ses meilleures prestations, elle m'avait semblé passer comme une trainée de poudre. Mais une trainée d'une intensité sans pareil, matérialisant toute la violence magnifique de ses Howling Songs. Après le coup d'éclat ténébreux de The Broken Man (chonique ici), sorti en janvier dernier, l'Anglais originaire de Bristol se livre à une large tournée. A nouveau, direction la Bastille, un an plus tard.
Lorsque Matt s'installe à sa guitare, égrène ses premières notes, le recueillement peut débuter et l'ahurissante capacité absorption de son chant prend toute son ampleur. Libérant sa charge de douleur brute et de splendeur tourmentée, l'ouverture sur Dust, Flesh And Bones ne peut qu'abasourdir. En live, sa méthode est toujours la même, jouer avec douceur le début de ses morceaux, enregistrer les couches une à une, puis jouant de la pédale, superposer et entrelacer ses loops jusqu'à ce que le mille-feuille mélodique obtenu soit d'une puissance à vous engluer sur place. En cela, ses morceaux live rejoignent la démarche et l'évolution folk-noise prégnante à Howling Songs. Mais c'est bien le Broken Man que l'auditoire a en face de lui. Humble et touchant entre deux morceaux, lorsqu'il joue Matt Elliott est possédé, habité par les litanies qu'il vocifère, absorbé par son jeu de guitare et captif des spectres qui semblent vaciller autour de lui lorsque ses cris se mélangent. Sa position recourbée évoquerait presque l'emprisonnement d'un corps, luttant pour se libérer de jougs invisibles.
Lorsqu'il entame The Sinking Ship Song, de violents frissons me parcourent. Cet extrait de The Mess We Made, véritable complainte de marins qui se biturent seuls au fond de la cale et preuve de son obsession pour les navires qui sombrent (il n'y a qu'à voir) compte parmi mes favoris. En live, chaque accord est une écorchure. Matt interprète également The Pain That's Yet To Come, chanson à sa muse, et surprise, se livre à une incroyable reprise du I Put A Spell On You de Screamin' Jay Hawkins, modulant son timbre et faisant tournoyer la phrase devant des yeux et des oreilles prisonniers de ses moindres variations. Contrairement à son live précédent, il injecte à la structure de ses morceaux des bribes de mélodica et de flute à bec ainsi qu'un imprévisible enregistrement de drums. Certains regretterons l'absence de Oh How We Fell ou de This Is For, d'autres (et ils auront raison) cette partie du public qui, n'étant pas venus pour lui, se permet rires et discussions et se déplace en meute. Ce qui se passe sur scène n'est pourtant pas anodin, c'est même beau à crever. Surplombé par un haut mur de pierre sur lequel des lueurs dansent, le musicien parait garder la porte des enfers. Cette heure passée trop vite touche à sa fin. Matt nous régale d'un Also Ran transformé en redite d'un « I will Haunt You In Your Sleep », puis clôture sa prestation par un ardent bourdon noisy.
Sa place sur scène est prise par Mariee Sioux. Les instrumentations sont ciselées mais le timbre de la chanteuse de folk semble celui d'une petite fille. Le mielleux et le mièvre n'ont pas leur place après l'électrochoc enténébré qui vient d'être asséné. Nous ne nous attarderons pas.
Cet homme dont la chaleur vocale n'a d'égal que la souffrance qui inonde sa musique a secoué ce soir-là un petit bout de Paris. Sa tournée dure jusqu'à juin, on ne saura assez vous recommander d'aller l'applaudir. Quant à la suite, il se pourrait bien que Matt Elliott prépare un nouvel album... pour bientôt.
par Manolito
Crédit photos : Sophie Jarry (voir les autres ici)