Sortie : juillet 2012
Label : Editions mego
Genre : Krautrock, Tempête électrique
Note : 8/10
Le multi-instrumentiste d'origine irakienne Oren Ambarchi, pensionnaire régulier du label Touch, pourrait prétendre au titre d'artiste de l'année, si la presse et le monde de la critique musicale n'étaient pas aussi sclérosés. Après le superbe Audience Of One (ici), dont les certes presque "pop" arabesques étaient déséquilibrées par le malade et démentiel Knots, il a sorti une collaboration avec Fire! (Mats Gusstafson, Johan Berthling et Andreas Werliin) chez Rune Grammophon. Si j'en crois une trop rapide et récente écoute, ses larsens trouvent au milieu de la section rythmique jazz libre, un foyer où il fait bon s'embraser. D'autres récentes sorties, avec Keith Rowe ou Brinkmann, ont également attiré mon oeil à défaut d'avoir convaincu mon porte-monnaie. Il revient pour l'heure, avec ses complices de toujours (Joe Talia et Lachlan Carrick) à la post-production, chez une autre maison référence qu'il connaît bien : les brillantes et expérimentales Editions Mego.
Sagittarian Domain séduira ceux qui apprécie le versant krautrock du Oren, et donc à fortiori, ceux qui avaient pris une claque monumentale en écoutant Knots. Il séduira aussi surtout, ceux qui ne connaissent pas la crise. Car aussi excellent soit-il, à l'heure où la musique est encore payante (aux dernières nouvelles), débourser près de vingt euros pour presque autant de minutes de musique : ça fait quand même un peu mal au cul. Ceci n'engage que moi, et si cette importante précision ampute un peu la notation finale, elle ne remet en aucun cas en question la qualité profonde et électrique de l'album.
Prenez une batterie qui a le diable aux trousses, associez là à une simple ligne tubulaire de Moog Bass et à des percussions rampantes et cardiaques, vous obtiendrez la toile de fond de Saggitarian Domain. Cette martiale, et implacable boucle répétitive, a finalement plus pour ambition de servir de base pour les envolées hurlantes des larsens d'Oren Ambarchi, que de sombrer dans un climat hypnotique éculé. Cela même si la répétition et le caractère hypnotique sont les éternels fondement du krautrock. C'est ailleurs qu'il faudra chercher la véritable performance. Dans ce crescendo de violence psychotique guitarisée, dans la frénésie des charleston, dans ce concours d'éructations électriques tout sauf nihilistes.
Les instruments de Oren Ambarchi emploient un vocabulaire logique comparable à celui d'une machine. Il y a même des moments où les textures les plus sèches de la guitare se confondent avec celles des percussions. Si bien qu'on on vient par moments à douter de l'origine des sons. Que ceux qui pensent avoir malgré tout le temps de se poser la question s'en prennent aux subtils et lents schémas d'amplification, de la grosse caisse et de la cymbale hi-hat tout d'abord, avant qu'un premier tourbillon n'embrase la mécanique au milieu de la 13ème minute. Les saturations tournent et virevoltent autour de la batterie, cherchant presque à la crasher. Au milieu de la franchise de certains cris, réside un solo abrasif et inhumain qui s'entame à l'orée de la 18éme minute et qui n'acceptera de se désagréger lentement dans un dernier cri strident qu'à la 28ème, pénétré par de fantomatiques bourrasques sans origines propres. C'est à ce moment que la machine semble s'enrayer, rendre gorge et trépasser. Il n'en est rien. Un inespéré et plaintif tapis de cordes classiques viendra panser les plaies auditives subies pendant ces presque 30 minutes de véritable boucherie. Le violon d'Elizabeth Welsh, déjà présent sur Salt (Audience Of One) est particulièrement remarquable. Cette issue encordée aurait pu se révéler convenue et maladroite. Elle est juste belle à chialer.
Assister à pareil spectacle en live relève presque du fou rêve. Sauf si Oren Ambarchi accepte une nouvelle fois de confier la batterie à Joe Talia. Ceux qui n'y croient pas, pourront en y mettant le prix, se consoler avec la version enregistrée. Ils sont donc invités aussi à découvrir les oeuvres d'un autre résident des Editions Mego : Marcus Schmickler. Car même si Oren Ambarchi est trop virtuose et honnête pour s'ouvrir au plagiat, la ressemblance est parfois à s'y méprendre. Certains blogueurs fins connaisseurs avaient déjà remarqué cet état de fait. Toujours est-il que Sagittarian Domain n'a pas à baisser la tête devant ses hypothétiques inspirations. Ni devant Knots, avec qui il forme quand même une sacrée paire. Hautement recommandé, surtout à l'heure des soldes.
par Ed Loxapac