Date : 21 au 24 avril 2011
Lieu : Genève (Suisse)
Si L'Electron Festival est depuis huit ans un événement phare de la culture alternative et électronique genevoise, il passe cette année à un rang supérieur. L'organisation a vu les choses en grand. Sur quatre jours, 120 artistes sont programmés, les journées regorgent d'expositions, workshops et performances dédiés à la musique, la danse ou la street culture, et la patinoire des Vernets est transformée en une nouvelle salle, pouvant accueillir 2 000 personnes. Le line-up de cette année s'avère à la hauteur de l'installation, soit à se rouler littéralement par terre, imposant, si l'on veut en jouir pleinement, de tenir chaque jour jusqu'à cinq heures du matin...
Jeudi:
L'affaire ne débute pas n'importe comment. C'est Stendeck qui ouvre la grand-messe, sa prestation dantesque me faisant presque regretter qu'il passe si tôt dans le festival. Bloquée sur son époustouflant Scintilla (chroniqué ici) depuis plusieurs semaines, je bous intérieurement une heure déjà avant le concert. Au Rez, salle du bas de l'Usine, le Suisse se produit devant une salle encore éparse, mais le public, averti et chelou à souhait, semble pénétré par le contraste entre les oniriques mélodies et la fusion des beats. Stendeck vit littéralement sa musique, s'arquant sur ses machines, la tête renversée. Sa prestation est extraordinaire, et je perdrai tout sens commun, aspirée par la cavalcade de Like Falling Crystals et ses sublimes visuels, ou pire sur Catch The Midnight Girl, obligée d'assener un coup de coude à un sinistre blaireau qui trouve judicieux de siffler à corps perdu au beau milieu du morceau.
Après une telle claque, on peut me traîner n'importe où, et devant (presque) n'importe quoi. Avec seulement deux navettes par heure, mieux vaut encore se rendre aux Vernets à pied. Immense, froide et dénudée, la patinoire a des faux airs de hangar à free party. Sirusmo y lâche une électro sémillante, efficace et légèrement stupide, face à un public touché d'un syndrome post-fluokids. Plus tard, Loefah prend la main, accompagné de MC Chunky. Ce qui démarre comme un set de dubstep pas mauvais, évolue en électro graisseuse et gonflante. Le co-fondateur de DMZ, comme d'autres précurseurs du dubstep, ne sont apparemment plus capables de produire en live autre chose que de la vulgaire turbine à danser.
Retour vers l'Usine donc. Je m'éclipse au Palladium histoire de voir à quoi ressemble un set du mythique Andrew Weatherall. Je ne serai pas déçue. Aussi classe que ludique et acide, la performance de l'Anglais est de haute volée. Il est trois heures, et le Rez va résonner jusqu'à la fin sous les coups de boutoirs intransigeants de The Panacea et de DJ Hidden. Celui qu'on appelle également Squaremeter a de quoi scotcher l'auditoire contre les murs. Terriblement impétueuse, sa drum'n'bass se teinte de nuances hardcore et industrielles. C'est profondément éreintant mais d'une rare puissance. DJ Hidden poursuivra sur cette même lancée. J'aurais bien donné un bras pour que Noël Wessels réalise un live plutôt qu'un DJ set, mais l'heure du Hollandais, faite de d'n'b marinée dans le breakcore, fournira son quotient de séquelles physiques. Dans les nappes infectées que constituent les transitions se perçoit cependant la patte inimitable de DJ Hidden. Aussi exceptionnelle qu'épuisante, cette première soirée laisse sur les rotules.
Vendredi :
La journée du vendredi s'avère la plus modeste. L'Electron mettant, cette année, la scène électronique indienne à l'honneur, on arrive au Rez pour les dernières minutes de Nucleya, qui lâche un dubstep aux hormones rehaussé de quelques très vagues sonorités hindouisantes. Le programme moyennement attrayant de l'Usine en début de soirée nous fait prendre le chemin des Vernets où le trip continue avec DJ Hamza & The Special Electron'India Project, qui mèle house et percussions traditionnelles, machines et danseurs Bollywoodiens. C'est marrant mais c'est la fin. Les imbuvables putasseries de Dillon Francis ne donnent pas la foi d'attendre jusqu'au Sud-Africain Spoek Mathambo. Une fois au Zoo, salle supérieure de l'Usine, c'est en piétinant sec que j'attend l'apparition du divin John Roberts. Meilleur album de house de 2010 selon B2B, le rendu de Glass Eights (chroniqué ici) en live me laissait plus que curieuse. Éphèbe ténébreux, distillant une house pulsée et organique, John Roberts a plus ou moins autant de classe dans la réalité que sur disque. Mais à l'inverse de son collègue de label, Pantha Du Prince, l'année dernière, la prestation de l'Américain reste fortement axée club, et semble en cela un brin décevante.
Un détour au Palladium, que Cut Chemist fait bouillir, se doit alors d'être effectué. Se pointer au moment où il entame le génial The Garden me remplit d'allégresse. Déstructurant le beat et étirant le morceau sur une dizaine de minutes, le turntablist fait une belle démonstration de groove et de technique. Les effets de la nuit précédente se faisant lourdement sentir, la soirée s'arrêtera là, avec un regret tout de même pour Wagon Christ.
Samedi :
En tout début de soirée je me rends à l'Alhambra, salle datant de 1928, qui se consacre à l'exigeant label Raster-Noton avec les concerts de Senking et des tant attendus ANBB. Le premier avait sorti le très bon Pong (chroniqué ici) l'année dernière, et dire que l'album prend toute sa dimension en live est encore en deçà de la vérité. Modulations minimalistes et infrabasses amples et vibrantes, Senking pose le décor en douceur. Tout son live sera empreint d'une langueur métallique et d'une nonchalance à coller des frissons. Auréolé de couleurs chaudes et d'une certaine désinvolture, l'homme évoluera peu à peu vers un dub envoûtant, mat et épuré, aux subtilités mises en évidence par l'excellente acoustique de la salle.
Autant dire que les sièges rouges de l'Alhambra, la belle et haute scène et la pénombre attentive constituent des conditions d'écoute proches de l'optimal. Puis c'est deux mythes qui investissent la scène, Alva Noto, co-fondateur de Raster-Noton doté d'une approche de la musique quasi-scientifique, et Blixa Bargeld, leader de Einstürzende Neubauten et guitariste pendant 20 ans de Nick Cave and the Bad Seeds. Tous deux réunis sous le nom d'ANBB, ils réalisèrent le chef-d'oeuvre Mimikry qui, sur scène, se révèle être une expérience confondante. Les édifices obscurs et abstraits d'Alva Noto envahissent votre être, tandis que la voix de Blixa, qui déclame souvent plus qu'il ne chante, en allemand ou en anglais, hante l'espace entier, dotée de capacités bruitistes ahurissantes. On est englué à son siège, les yeux fixé sur lui, parfaitement halluciné. Mimikry, Once Again, I Wish I Was A Mole In The Ground, Ret Marut Handshake ou One sont autant de moments de grâce, tandis que lorsqu'ils jouent Wust, on n'a ni plus ni moins l'impression de se prendre par à-coups un réacteur d'avion dans la gueule.
Ces deux heures et demi seront parmi les meilleures du festival. A la patinoire se produisent alors les Autrichiens Kruder & Dorfmeister, fondateurs du label G-Stone, qui fêtent leur seizième anniversaire, assistés de deux MC en costard. J'ai rarement vu des visuels offenser autant les yeux, mais leur électronica polymorphe, puissante et criarde cache de réels talents de musiciens. Quand le jeune Mondkopf prend la relève, son live a des effets de bulldozer, la délicatesse en plus. J'ai toujours eu une certaine inclinaison pour sa techno tirant vers l'électronica, à la fois redoutable et romantique. Le rendu est ici démultiplié, relevé de visuels graphiques en noir et blanc, et la véhémence avec laquelle il mixe fait plaisir à voir. De retour à l'Usine, je retombe aussi sec : atroce UK funky au Zoo et la formation de danseurs de footwork de Planet Mu au Rez, tout aussi inaudible. Il faut patienter pour voir enfin arriver Niveau Zero. Comme à son habitude, Frédéric Garcia enflamme la salle, la matraque de salves de hachoir, qu'elle encaisse avec jouissance. Son My Roots, notamment, fera l'effet d'une poignée de bombes à fragmentation. Nul doute que le Français représente ce qui se fait de meilleur dans le dubstep hexagonal... et pas que.
Dimanche :
Traditionnellement, le dimanche, le site se vide de la moitié des festivaliers, trop fourbus pour perdurer. Cette année l'excellent programme maintient remplies les deux salles de l'Usine. J'arrive pour le début de Moritz Von Oswald et Paul St Hilaire. Le maître ès dub techno s'est installé si confortablement qu'il a des airs de gestionnaire. Fauteuil en cuir, lampe de bureau pointée sur ses machines et un mur de basses de chaque côté de sa personne, le boss de Basic Channel joue le dub de Rythm & Sound, langoureux et brouillé, bourré de groove et accompagné du chant habité du sieur St Hilaire. Je suis plus que réjouie d'entendre King In My Empire. Les reverbs sont hypnotisantes et la foule ondule. Parfois le Tikiman s'absente, tandis que Von Oswald injecte sur la fin, davantage de techno à ses boucles. Je grimpe alors au Zoo, presque constamment irrespirable, pour le début de la prestation d'Isolée. Sa house chancelante prend irrémédiablement au corps et les textures ont quelque chose de caressant. Son live me paraitra cependant trop linéaire pour me passionner complètement. Pendant ce temps là au Rez, Kalbata donne dans le 2-step vintage, lâchant quelques friandises de chez Jahtari. La soirée du rez-de-chaussé se consacre en effet aux "influences du reggae et du dub dans la musique électronique". A l'étage, le duo Rainbow Arabia succède à Isolée. Californiens signés chez Kompakt, leur électro/ethno/pop me surprend agréablement. Je n'écouterai pas leur album en boucle, mais la voix aux faux airs de Fever Ray de la chanteuse, les sonorités percussives et une certaine théâtralité en font un bon groupe live.
La soirée s'achèvera en jumpant pendant une plombe sur le dub électronique d'O.B.F., deux Français rodés aux Dubstation parisiennes comme aux Dubquake genevoises. Accompagnés des MC Kenny Knotts et Dan Man, les selecta livrèrent une des plus belles performances que je leur ai vu. La salle se balance et transpire dans un bel ensemble. Au sortir de l'Usine, mes jambes ont rendu leur tablier, tant pis pour Agoria, il est grand temps de rentrer.
Cette édition 2011 comble toutes les attentes. Mon seul gros regret sera d'avoir loupé certains concerts, ainsi que les cessions expérimentales du Grütli. Mais à moins de faire ce festival intégralement seul, il était impossible cette année de voir tout ce qui aurait dû être vu. En balayant un spectre immensément large, l'Electron s'impose dorénavant comme l'un des plus riches festivals européens en matière de musiques électroniques.
par Manolito